Alessandra Peroni
Ingénieur-Architecte
Bouygues Immobilier
Spécialiste BIM
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La maitrise d’ouvrage est de plus en plus mise à l’honneur pour les initiatives qu’elle prend afin de faire croître l’utilisation du BIM. C’est le cas de l'un des acteurs majeurs du secteur de la promotion, Bouygues Immobilier, une entreprise fortement impliquée qui a notamment lancé sa charte 2020 pour que 100% des projets soient conçus et construits en BIM. Nous avons le plaisir de recevoir Alessandra Peroni cette semaine qui est spécialiste BIM au sein de la Task Force BIM.
Bonjour Alessandra, pourrais-tu stp te présenter en quelques mots à nos lecteurs, ton parcours, ta formation ?
Bonjour, j'ai été diplômée en cursus de double diplôme Ingénieur-Architecte à l’Università degli Studi di Brescia (IT) début 2013, après avoir effectué une année à l’école des Ponts en Erasmus et un PFE à la Technical University de Delft (NL) sur le sujet de la réhabilitation architecturale et structurelle de logements sociaux.
J’ai ensuite travaillé dans la même université comme chercheuse et assistante pour le cours de composition architecturale et en 2014 je suis arrivée à Paris pour travailler dans une agence d’architecture.
Mon expérience professionnelle avec le BIM a démarré en 2015, d’abord comme coordinatrice au sein du BET Ingérop, ensuite comme BIM Manager et responsable de synthèse pour le BET parisien Afdes et enfin chez Bouygues Immobilier.
Dernièrement, en 2018 j’ai acquis un master spécialisé en BIM Management au Politecnico di Milano.
As-tu toujours été passionnée par les nouvelles technologies ou cela a-t-il fait partie de ton cursus universitaire à Brescia ? On sait que la formation aux nouvelles technologies est notamment très forte en Italie.
Les nouvelles technologies ont toujours suscité mon intérêt : il est essentiel de les comprendre et de se les approprier car elles nous questionnent et elles nous amènent à nous remettre constamment en cause.
Grâce à mon cursus universitaire, j’ai effectivement pu apprendre à utiliser beaucoup d’outils et, parallèlement, commencer à apprécier l’importance croissante des nouvelles technologies dans le milieu de la construction.
En particulier, le cours « Organisation et méthodes du chantier » en quatrième année (avec le professeur Angelo Ciribini), m’a permis d’avoir une première vraie sensibilisation au BIM, au digital et aux processus d’amélioration de la qualité. Il s’agit de sujets qui sont devenus de plus en plus communs aujourd’hui dans les écoles, mais à l’époque (en 2010) parler de BIM à des étudiants était encore considéré comme une extravagance.
Quand es-tu arrivée chez Bouygues Immobilier et peux-tu nous décrire ton rôle au sein d’Immobilier d’entreprise ?
J’ai intégré Bouygues Immobilier en septembre 2017 en tant que spécialiste BIM et BIM Manager sur certaines opérations pour l'Immobilier d'Entreprise, la branche de la société dédiée au développement d’opérations tertiaires (immeubles de bureaux principalement, mais aussi hôtels et commerces).
Je m’occupe de développer la stratégie pour le déploiement du BIM au niveau de l’Immobilier d’Entreprise, de définir les outils et les procédures nécessaires ainsi que d’accompagner et soutenir les équipes opérationnelles sur les projets pour tous les sujets relatifs au BIM et, plus globalement, la transformation digitale.
Mon travail s’intègre dans le cadre de la Politique Centrale BIM de Bouygues Immobilier, un document signé le 6 septembre 2016 par le PDG de Bouygues Immobilier et qui définit la vision, les objectifs et les éléments de langage communs pour la société.
Je suis également membre du Comité BIM de Bouygues Immobilier. Ce comité, constitué par les membres du COSTRAT et l’ensemble des référents/spécialistes BIM, fonctionne comme un groupe de travail agile qui a l’objectif de faciliter le déploiement du BIM en donnant un feedback stratégique important à la démarche, dans le cadre d’une organisation décentralisée.
Enfin, je participe parallèlement à la Task-Force BIM, un deuxième groupe de travail qui définit et accompagne des actions concrètes liées au déploiement du BIM à l’aide de opérationnels .
Immeuble Galeo Bouygues Immobilier © Pierre Perrin
Tu es BIM Manager conception. Comment accompagnes-tu cet effort de BIMisation des entreprises au quotidien ?
Selon mon expérience de projet, le BIM Manager a aujourd’hui un rôle principalement pédagogique, de soutien aux intervenants ainsi que d’arbitrage.
Nous mettons à disposition des outils de travail pour nos partenaires, tels que la plateforme Bimsync qui constitue l’environnement collaboratif sur tous nos projets et il est nécessaire d’accompagner l’ensemble des intervenants à sa prise en main.
De plus, même si nous avons pris chez Bouygues Immobilier le parti de ne pas imposer de logiciel de modélisation (mais uniquement une certification et l’interopérabilité conforme au format IFC) dans une approche universelle et collaborative, il faut souvent se rendre disponibles dans l’environnement natif pour guider d’un côté certains aspects problématiques de la modélisation, et de l’autre pour tout ce qui concerne le traitement des exports et imports IFC.
Nous exigeons que nos prestataires de services intellectuels ainsi que par les entreprises avec lesquelles nous travaillons soient interopérables. En tant que BIM Manager, il est essentiel pour moi de comprendre, maîtriser et faciliter les interfaces logiciel via notamment des formats standardisés ouverts.
Immeuble Galeo Bouygues Immobilier © Pierre Perrin
Qu’est ce qui est selon toi plus important dans l’accompagnement BIM ? L’humain ou la technologie ?
Je crois que, malgré le fait que la maîtrise des outils soit essentielle, le challenge le plus important et difficile est l’humain. L’accompagnement du passage au BIM, tant en interne qu’en externe, est un acte important de gestion du changement.
Le Maître d’ouvrage a un rôle de donneur d’ordre et de vue d’ensemble sur le déroulement du projet en phase conception et construction. Cela facilite-t-il cette transition numérique ou au contraire le rend difficile ?
L’implication du maître d’ouvrage est essentielle pour la réussite d’une démarche BIM et, notamment, pour l’orienter et en assurer la continuité dans les différentes phases du projet, avec son rôle de coaching et d’arbitrage.
La difficulté demeure plutôt dans le fait que chaque maître d’ouvrage a actuellement sa propre approche au BIM, ce qui amène la maîtrise d’œuvre à adapter ses réponses et ses méthodes de travail.
Comment la maitrise d’œuvre réagit au BIM ? Est-ce difficile ? Comprennent-ils les bénéfices ?
La réaction de la maîtrise d’œuvre n’est pas homogène et, curieusement, elle n’est pas nécessairement liée à la taille des structures. Il s’avère que des petites agences se soient lancées en BIM très tôt pour en faire un moyen de différenciation sur le marché, tandis que de grosses structures ont franchi le pas très tard, à cause peut-être de leur inertie intrinsèque.
Je pourrais identifier essentiellement trois points qui influencent la réponse de la maîtrise d’œuvre au BIM : l’expérience, la spécialité et la clarté des demandes.
De manière générale, on constate qu’il faut du temps pour que la transition et l’appropriation des méthodes BIM dans une agence commencent à générer de la valeur, mais on constate aussi que ces bénéfices sont plus importants pour certains acteurs que pour d’autres. Le rapport efforts/bénéfices pour un BET structure ou pour un architecte est, à mon avis, plus intéressant aujourd’hui que pour un BET Fluides ou un paysagiste.
Enfin, il est évident que l’ensemble de la maitrise d’œuvre réagit d’autant plus positivement si elle est amenée à travailler en BIM avec des objectifs clairs de la part du maître d’ouvrage.
Justement, quels bénéfices Bouygues Immobilier attend de ce passage au BIM et quels sont les plus importants pour vous ?
En tant que promoteur immobilier, nous voyons le BIM comme une occasion pour améliorer l’expérience de nos clients et pour mieux maîtriser nos produits immobiliers.
Grâce au BIM, nous espérons aboutir à des projets mieux pensés et plus adaptés aux exigences de nos clients, grâce à leur flexibilité, intelligence et qualité.
Le BIM, de par sa nature, nous amène à une anticipation des problématiques d’exécution et d'exploitation via une conception plus aboutie. Cela signifie pour nous une diminution des risques liés aux opérations, ainsi que une incrémentation de la qualité des processus et des ouvrages.
Vous développez des outils pour les aider. Pourrais-tu nous en parler ?
Au niveau de la gestion du projet, nous travaillons beaucoup sur la restitution et la visualisation des indicateurs de conception, afin de mettre à disposition des équipes opérationnelles une vision de l’évolution du projet cohérente avec les contraintes du métier.
Il est important pour nous de pouvoir extraire et suivre les surfaces commerciales et administratives modélisées dans les projets, ainsi que les écarts de conception par rapport aux notices programmatiques, mais nous ne pouvons pas nous contenter de mettre à disposition des chiffres bruts : les données sont traitées dans des dashboard/tableaux de bord (type Microsoft Power BI) pour qu’elles deviennent parlantes.
Figure 1 : un exemple de dashboard
Concernant l’expérience client, nous nous servons bien sûr des modèles numériques pour mieux communiquer sur le projet et générer des visites immersives ou des vidéos, mais nous développons aussi d’autres solutions de visualisations.
Nous sommes actuellement en cours de développement avec un partenaire, la société Toolz, d’un viewer basé sur le module de visualisation d'Autodesk Forge qui permettra à nos preneurs de voir et manipuler les modèles numériques des immeubles, dans leur géométrie et leurs métadonnées.
Notre objectif est ainsi d’alimenter, dans une logique de transparence de nos produits, le climat de confiance avec nos clients.
Figure 2 : une image du viewer développé avec Toolz sur la base du viewer d'Autodesk Forge
Sur les projets immobiliers, quelle technologie BIM vois-tu principalement utilisée ?
Probablement toute technologie liée à la visualisation du produit immobilier, qu’il s’agisse de réalité virtuelle ou augmentée, rendu en temps réel à partir des modèles…
Quels sont les projets BIM qui t’ont le plus marqué et pour quelles raisons ?
Parmi les projets qui m’ont le plus marquée je citerais surement le premier projet BIM sur lequel j’ai travaillé dans ma vie professionnelle, l’aile Est de l’aéroport de Genève (architecte RSHP) avec ses six nouvelles portes. Ce projet compliqué, avec une pluralité de modèles métier à coordonner et à vérifier, a été pour moi une bonne école pour apprécier la complexité du BIM au quotidien.
Un autre projet qui m’a beaucoup appris est celui de la Tour Alto à la Défense, sur lequel j’ai travaillé coté fluides chez Afdes et qui m’a permis de me spécialiser dans le MEP.
Enfin notre projet Ne.St à Courbevoie est très important pour moi car il s’agit de mon premier projet en tant que BIM Manager dans un contexte openBIM, dans lequel la conception architecturale et le reste de la maîtrise d’œuvre travaillaient sur des outils logiciels différents. Cette expérience m’a confronté aux problématiques liées à l’interopérabilité et à la récupération/reconversion en natif des modèles IFC.
Y-a-t-il eu des expériences difficiles ?
Je crois que les moments les plus difficiles à gérer sur les projets BIM auxquels j’ai participé, sous différents rôles, sont pour la plupart liés à de situations où une partie des intervenants n’a pas accepté de communiquer ou de partager.
Pour qu’un projet BIM fonctionne, le travail collaboratif est bien évidemment essentiel. Cela ne veut pas dire uniquement déposer son modèle sur une plateforme collaborative, mais surtout avoir un esprit ouvert pour mettre à disposition des données, ou intégrer des données d’autrui ou encore modifier de la géométrie pour la rendre plus propre aux usages de l’équipe projet dans sa globalité.
Dans ce contexte, je trouve que le maître d’ouvrage a un rôle essentiel au niveau de la contractualisation du BIM auprès de ses partenaires : c’est grâce aux contrats et aux cahiers des charges qu’il peut fixer les règles du jeu et soutenir une démarche collaborative de la maîtrise d’œuvre.
La France est un pays résistant au changement. Quelles différences vois-tu par rapport à l’Italie dans cette transition ?
La France et l'Italie ont réagi à l’encouragement européen vers l’utilisation de modèles numériques renseignés avec une stratégie différente. L’Italie a mis en place un cadre normatif pour imposer le passage au BIM par loi, alors qu’en France on a pensé au PTNB (et maintenant au Plan BIM 2022).
Je ne puis dire laquelle des deux approches amènera à une montée en compétences plus rapide et efficace des acteurs de la construction, mais l’encadrement national du BIM en Italie a surement eu un effet déstabilisant à cause de son caractère obligatoire, mais aussi rassurant car il crée, malgré tout, un référentiel.
En tant qu’étrangère, je constate effectivement que la France est un pays assez résistant au changement, d’autant plus si ce changement est identifié comme venant de l’étranger. Cela constitue une grande différence par rapport à l’Italie où, un peu par nécessité un peu par tendance, s’approprier des modes d'autres pays est plutôt une déformation culturelle.
Je trouve que l’un de plus gros freins à l’adoption du BIM en France a été le fait que pendant longtemps le BIM a été jugé comme une nouveauté qui parle anglais, qui fonctionne certes dans d’autres contextes, mais qui n’est pas adaptée aux marchés et à l’historique français.
Qu’est ce qui selon toi va aider à l’accélération de l’adoption du BIM en France et sur vos projets ?
Comme déjà évoqué précédemment, je trouve que l’implication du maître d’ouvrage est probablement le facteur le plus important pour l’accélération de l’adoption du BIM. Il ne s’agit pas bien entendu de se limiter à « demander du BIM sur ses projets », mais plutôt de réfléchir pour définir des démarches optimisées qui s’inscrivent dans des logiques où l’ensemble des intervenants (tant les MOA que le MOE, que les entreprises) est gagnant.
En ce qui concerne Bouygues Immobilier, je crois qu’une approche « test and learn », basé sur le partage des retours d’expérience, est fondamentale pour booster nos opérations et impliquer nos collaborateurs.
Figure 3 : une image du Cahier des charges BIM
https://bim-bouygues-immobilier.gitbooks.io/bim-execution-plan/content/v/b1b7eb2a040b306d8a96aedd1ff9c803b9cbc6eb/
Quelles nouvelles tendances, au-delà du BIM vois-tu apparaître ?
Une grosse tendance qu’on a vu débarquer dans le monde de la construction est sûrement l’intelligence artificielle et ses applications, comme le generative design ou la gestion prédictive des risques, notamment de sécurité.
Je crois que l'une des grosses questions aujourd’hui, et pas seulement dans notre domaine, est de savoir comment traiter la masse de données que nous avons à disposition notamment pour systématiser les tâches à faible valeur ajoutée, améliorer la qualité du bâti en diminuant son impact environnemental et optimiser l’emploi des ressources, humaines, mais pas uniquement.
Penses-tu que le BIM durera des années ?
Il est difficile de dire si le BIM, comme on le définit aujourd’hui, va durer des années.
Nous constatons une évolution constante des outils et des technologies : nous traversons la transformation digitale du milieu et le BIM n’est qu’un facteur de cette révolution.
Le travail collaboratif et l’utilisation des modèles numériques vont rentrer progressivement dans l’usage quotidien pour les acteurs de la filière et la confrontation entre « méthode BIM » et « méthode traditionnelle » va progressivement s'estomper.
Cela ne signifie pas que le BIM disparaitra, mais qu’il va plutôt évoluer, car d’un côté il sera naturellement embarqué dans les processus métier et de l’autre il sera chargé de nouvelles significations, par exemple par les data sciences et l’intelligence artificielle.
Alessandra, un grand merci pour ce point de vue très pertinent et passionnant d'une Experte BIM du domaine de la Maîtrise d'ouvrage. Nous te souhaitons, ainsi qu'à Bouygues Immobilier un succès total sur cette route du BIM 100% d'ici à 2020.
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