Nous avons la chance de recevoir cette semaine une startup innovante qui développe des solutions pour la sécurité et le monitoring sur les chantiers, CAD.42. On sait que le sujet de la sécurité sur le chantier est délicat car il cause chaque année de nombreux accidents, invalidités et décès. Un groupe de jeunes développeurs dynamiques s'est penché sur le sujet afin de trouver des solutions innovantes en s'appuyant sur le BIM et les nouvelles approches numériques. Nous recevons le co-fondateur et Président de CAD.42, Jean-Philippe Panaget.
Jean-Philippe Panaget
Co-fondateur et Président CAD.42
[email protected]
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/jppanaget/
Twitter : https://twitter.com/CAD42_official
Site web : https://cad42.com/
Bonjour Jean-Philippe, merci de venir nous rendre visite sur ABCD Blog. Nous lecteurs seront ravis de vous connaître un peu mieux. Mais pourriez-vous tout d’abord vous présenter et nous parler de votre parcours ?
J’ai 30 ans, je suis ingénieur en calcul scientifique, et j’ai travaillé en tant qu’ingénieur logiciel pendant 3 ans, pour une start-up éditrice de logiciels qui développait des solutions innovantes autour de la maquette numérique mais dans l’automobile. L’entreprise s’est plutôt bien développée puisqu’elle a été rachetée récemment pour 300 M$ par Ansys. Je crois que cette expérience m’a donné le goût de l’innovation pour l’industrie. J’ai alors décidé de créer CAD.42 fin 2016 avec 3 autres co-fondateurs.
Combien de personnes êtes-vous et comment êtes-vous organisés ? Faites-vous notamment du service ?
Aujourd’hui nous sommes une dizaine de salariés. Je dois souligner que nous sommes tous assez « tech » puisque nous sommes tous ingénieurs de formation. Certains se sont égarés en école de commerce pour compléter leurs cursus comme moi 😊.
Nous avons 3 pôles techniques principaux que sont :
Le pôle hardware, qui est en charge de concevoir, prototyper et industrialiser les capteurs que nous déployons sur les chantiers de nos clients.
Le second pôle est le pôle data, en charge de développer et maintenir la plateforme d’aggrégation de données ainsi que les algorithmes qui vont être utilisés. Nous créons ainsi de la valeur pour nos clients, que ce soit en détectant des presqu’accidents ou en envoyant des rapports d’activité Lean automatique, à propos de la grue par exemple.
Le troisième et dernier pôle est le pôle opérationnel, en charge d’assurer le déploiement et la maintenance des sites équipés avec nos systèmes.
Le département produit est dirigé par un ancien conducteur de travaux qui est en charge de la définition des roadmap et du suivi projet avec les clients.
Faites-vous notamment du service ?
Nous proposons des solutions clés en main pour le chantier connecté mais parfois, pour des demandes spécifiques, nous proposons également du service de conception hardware et/ou logiciel à la demande.
Quand avez-vous décidé de créer CAD.42 et pour quelles raisons ?
Nous avons créé CAD.42 fin 2016. Venant du monde du manufacturing et en ayant travaillé sur les sujets de maquette numérique et de l'industrie 4.0, je me suis intéressé à l’arrivée du BIM dans la construction. L’état de maturité de l’écosystème sur ces sujets m’a paru assez faible comparé à l’industrie automobile, ce qui représente, à mon sens, une opportunité forte de croissance dans les prochaines années. Par ailleurs, les statistiques en terme de sécurité des hommes, de productivité, ou de qualité montrent un fort besoin d’améliorer les processus sur le terrain et pour cela, il faut pouvoir Planifier, Monitorer et Capitaliser les données qui sont aujourd’hui pas ou sous-utilisées. CAD.42 est alors né.
Vous avez récemment fusionné avec une autre société – TwistEngine- spécialiste de la création d’applications 3D modèles pour le game, pour quelles raisons ?
En effet, TwistEngine est spécialisé dans la numérisation 3D de phasages de chantier à des fins marketing en phase de réponse d’appels d’offres par exemple. Cette activité qui peut paraitre éloignée de notre cœur de métier. Néanmoins qui dit phasage, dit temporalité et c’est exactement ce que rajoute les objets connectés au BIM : la dimension de temps (que ce soit en temps réel ou en replay). Par conséquent, le cœur de la technologie développée par TwistEngine va être directement intégrée dans notre application FieldTracker qui permet le suivi en temps réel du chantier.
L’objectif est également de développer les activités de TwistEngine afin de proposer à nos clients de valoriser leurs méthodes par le BIM 4D dès l’appel d’offre. Une fois ce BIM 4D réalisé, la maquette numérique est prête pour l’utilisation des services et produits CAD.42 en phase d’exécution.
Quelles solutions proposez-vous ? Et sur quelles nouvelles technologies vous appuyez-vous à part le BIM ?
Nous avons une offre « chantier connecté » qui permet de monitorer l’ensemble des éléments équipés de tags CAD.42 de manière très précise. Nous plaçons ces capteurs sur tout ce qui est générateur de valeur, de gâchis ou de danger : sur les engins, le moufle de grue, les palettes matériaux … Nous équipons également les compagnons d’une veste connectée munie de signaux sonores et lumineux. Le client a alors accès à l’application FieldTracker qui permet de visualiser l’ensemble des flux du chantier et de créer des règles qui sont le reflet de son expertise terrain : règles de sécurité, processus de validation de placement de passerelle, génération de rapports d’activité, etc.
Nous avons également découlé de notre offre « chantier connecté », un certain nombre d’offres simple à mettre en œuvre comme notre solution de signalisation augmentée qui va officiellement sortir en janvier 2019 et qui se compose d’un bracelet connecté qui va directement lire les données émises par des panneaux de signalisation (collision, interdiction, danger, obligation, information). Une autre offre dissociable du « chantier connecté » est notre boitier et logiciel d’analyse de mouvements de grue (« Lean de la grue »). La grue étant le métronome du chantier, cette offre permet d’obtenir des graphiques et métriques sur l’utilisation de la grue de manière quotidienne. Ces données permettent alors d’identifier des problèmes sur le chantier de manière global que ce soit l’évolution des zones de stockage ou des livraisons trop rapprochées par exemple.
En ce qui concerne les technologies utilisées, nous proposons une application hébergée dans le Cloud qui nous permet de pousser le traitement de données au maximum – Un chantier connecté, ce sont des millions de données collectées et traitées tous les jours, on peut alors parler de Big Data. Bien entendu, nous travaillons également sur des technologies innovantes en ce qui concerne la partie hardware de notre solution qui nous permet d’assurer la communication et la géolocalisation des opérations.
Vous voulez connecter le BIM et le chantier et amener le BIM sur le chantier, pour quelle raison et comment ?
L’industrialisation de la construction passe par les mise en place du triptyque : Planifier, Monitorer et Capitaliser. Le BIM est l’outil clé pour Planifier que ce soit les méthodes mais également les règles de sécurité. Lier le planning des méthodes à la maquette, c’est ce que l'on appelle, le BIM 4D et c’est pour nous la première étape du triptyque évoqué. Les objets connectés apportent l’état des opérations à tout moment et il devient alors possible de comparer ce qui a été prévu et ce qui est en train de se passer dans le but de détecter au plus vite des anomalies et prendre des actions correctives.
Pour que le BIM soit adopté par le chantier, il faut qu'il soit utile aux opérateurs (conducteurs, chefs de chantier, compagnons, …) du chantier.
Amener le BIM sur chantier, c’est apporter une base de connaissance aux compagnons directement sur leurs postes d’opérations. Il y a deux ans, nous communiquions de manière assez simple avec l’opérateur via une veste connectée qui s’allumait et bipait lorsque le compagnon rentrait dans une zone interdite définie dans le BIM. Aujourd’hui nous sommes capable avec notre bracelet connecté de proposer de visualiser la fiche d’utilisation d’une machine lorsque l’opérateur se trouve proche de cette machine ou d'avertir d'un danger à proximité.
Concrètement, vous faites du BIM 4D temps réel permettant de détecter les mouvements des personnes, engins et objets ?
Le mouvement rajoute la dimension temps réel par nature à la maquette numérique. Néanmoins, d’autres types d’évènements sont monitorés comme la validation de tâches, de formulaire, le badgeage ou le scan de QR code et autres.
Quelles sont vos références ? Avez-vous de nombreux pilotes en cours ?
On peut citer Léon Grosse ou Demathieu et Bard dans la construction. Nous travaillons également avec des entreprises de TP. Nous aurons peu de temps de repos en 2019 😉.
Vos clients sont-ils essentiellement des entreprises de construction ?
Pas essentiellement, nous travaillons également dans l’Oil&Gas avec TechnipFMC ou la maintenance avec RATP par exemple.
Avez-vous évalué le nombre d’accidents évités grâce à votre solution ?
Il est difficile d’évaluer les accidents évités parce qu’ils n’ont pas eu lieu de facto. Nous préférons parler de presqu’accidents qui à notre sens sont beaucoup plus représentatifs de l’état de sécurité d’un chantier. Le presqu’accident, c’est un moment où l'une des règles assurant la sécurité des compagnons n’a pas été respecté et l'un des intérêts de notre système, c’est justement de pouvoir mesurer ces presqu’accidents. Nous avons alerté un peu plus de 10 000 fois les porteurs de nos dispositifs.
Vos solutions s’appuient en partie sur du hardware du type capteurs, senseurs, puces RFID ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
En terme de stack technologique, nous assurons la communication et la géolocalisation des opérateurs que ce soit au niveau -5 d’un parking et en haut d’une grue et que ce soit sur site fixe (chantier ou parc matériel) ou en transit entre un parc matériel et un chantier. Etant donnée l’utilisation de notre système pour la sécurité des hommes, nous pratiquons la redondance technologique afin d’assurer la transmission des informations. On peut alors citer quelques technologies utilisées comme le Dash-7 ou le Lora, en terme de géolocalisation nous sommes spécialiste de l’UWB (ultra wide band) mais nous utilisons également des technologies comme le GPS RTK, le BLE, NFC …
Vous fonctionnez en Edge computing. Quelle flexibilité cela vous apporte-t-il ?
Tous nos clients ne souhaitent pas envoyer leurs données dans le Cloud, même si l’application est hébergée dans leur infrastructure IT. C’est le cas pour la construction d’installations sensibles comme le nucléaire par exemple. Nous proposons alors l’installation sur site de la partie applicative ce qui permet d’assurer que les données ne quittent pas le site.
Par ailleurs, sur certains cas d’usage comme l'anti-collision engin-piéton par exemple, nous devons assurer la continuité de service ce qui ne nous permet pas l’utilisation des réseaux internet opérés.
Votre solution utilise en partie Autodesk Forge, la plateforme de développement web d’Autodesk. Quelles briques utilisez-vous et pourquoi ?
Nous utilisons la partie viewer directement intégrée dans notre application à laquelle nous rajoutons, les mouvements et certaines informations visuelles grâce à la librairie Three.js qui est utilisée comme brique de base pour le viewer Forge. Nous utilisons le viewer Autodesk pour le moteur de rendu web qui permet d’afficher des géométries complexes de manière rapide, ce que nous n’avons pas trouvé ailleurs.
Nous utilisons également Model Derivative pour le pré-traitement de la maquette Autodesk Revit ou IFC.
Vous avez des connecteurs pour Revit et Navisworks afin d’accélérer le transfert des données ?
Pas encore mais c’est prévu.
Vos solutions sont en mode locatif. Quel est le coût moyen de la mise en place d’une telle solution ?
Toutes nos solutions sont commercialisées en mode locatif ou achat. La location nous parait pertinente pour le BTP. Le coût dépend fortement de la solution choisie et du site. Notre offre « chantier connecté » est en général louée 10-15 K€/mois. L’offre de signalisation augmentée est vendue 56€ par panneau et le bracelet connecté 120€ (amortissables sur 3 ans). La coût de notre offre « Lean de grue » est d’environ 500€/mois.
Que souhaiteriez-vous faire passer comme message à nos lecteurs ?
Les objets connectés et l’avènement du BIM en phase d’exploitation offrent une superbe opportunité de transformer les business traditionnels en « data driven » business ce qui permettra d’améliorer drastiquement la performance opérationnelle. Même si le BTP a un peu de retard sur ces sujets comparé à d’autres industries, nous constatons que la transformation qui a lieu en ce moment est beaucoup plus rapide que dans d’autres secteurs par le passé. Ce retard et cette accélération s'expliquent en partie à cause de la complexité des projets du BTP et des enjeux économiques qu’une meilleure gestion représenterait.
Pour finir, il y a une citation qu’on aime bien chez CAD.42 de Lord Kelvin : “ If you cannot measure it, you cannot improve it” Je pense que cela résume bien notre philosophie.
Jean-Philippe, tout cela est passionnant. Un grand merci à vous et à votre Equipe et nous vous souhaitons un franc succès.
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